lang : en | fr

Collectionner Charlie Chaplin

Un article de Lisa Stein Haven

Dans le livre de presse de Modern Times, United Artists écrivait, dans “Chaplin le Collectionneur”, qu’on lui avait offert des sommes énormes pour ses porcelaines de Saxe, de la période Napoléonnienne. « Il a rassemblé les premières éditions autographiées des romans de Frank Harris et une édition complète, magnifiquement reliée, de ‘Punch”, datant de sa première publication. » La vaste bibliothèque de Chaplin comprenait aussi des pièces rares, tel une édition miniature de « Les Oeuvres Complètes de Shakespeare (1905) », qu’un libraire, spécialisé en livres rares, mentionne, aujourd’hui, dans sa publicité dans les termes suivants; « Bondy racontait n’avoir vu qu’une seule édition complète, au cours de sa carrière, et que c’est dans la collection de Charlie Chaplin qu’il l’a vue ».

Il est aussi bien connu que Charlie collectionnait les autographes des personnalités nobles et célèbres qu’il a rencontrées, au cours des années. Il en a fait une caricature, par l’entremise d’une apparition dans le film muet “Show People”, de Marion Davies, datant de 1928.

En d’autres termes, si une personne prend exemple sur le comportement de Chaplin, il ou elle peut rapidement venir à la conclusion que collectionner est une aventure respectable et enrichissante, comme c’était le cas pour quelqu’un qui est lui-même aujourd’hui collectionnable.

Si une personne décide de « collectionner » Charlie Chaplin, la tâche semble assez facile. Recherchez tout et n’importe quoi portant son nom, ou qui, d’une certaine manière, y est associé ou juxtaposé. C’est la manière facile de s’en sortir, et, quoi que valorisante, parce qu’il y a un nombre incalculable d’items disponibles à se procurer, je veux quand même vous proposer ce que je pense être une option encore plus créative. Je vais nommer cette méthode « collectionner contextuellement » car je ne trouve pas de meilleur mot.

Je définirais “collectionner contextuellement”, simplement comme collectionner autour de Chaplin, dans une approche historique. Chaplin avait l”habitude de dire: “Si vous voulez me connaître, regardez mes films.” Malheureusement, il n’y en a que 81. Dans cette société tournée vers le matériel, les hommes en veulent toujours de plus en plus, particulièrement dans le secteur de l’information.

Les idées pour “collectionner contextuellement” avec Charlie Chaplin comme sujet sont sans fin. Je vous présente ci-dessous quelques idées de collections contextuelles, avec des exemples pour chacun. Elles sont infinies ; il n’y a aucun commencement ou fin rigide.


Partitions de musique

Chacun sait que Charlie était un compositeur prolifique et il est facile de trouver des exemples de son travail sous forme de feuilles de musique. Par contre, il est plus difficile, et peut-être plus intéressant, de collectionner la musique qui a inspiré ses films ou qui lui est associée d’une autre manière.. Dans “My Autobiography (MA)”, Charlie nous fait savoir que “Too Much Mustard” (Très Moutardé) a fixé l’atmosphère de son film clé “Twenty Minutes of Love”, que “Mlle Grundy” (et celle-ci il est difficile à saisir) a inspiré “The Immigrant “.La pièce est imprégnée (Je ne comprends pas. Quelle pièce? Le morceau de musique? A ce moment là, c’est Le morceau est impregné…non? ) d’une tendresse particulière où nous assistons, un jour lugubre et pluvieux” (225), au mariage de deux êtres abandonnés et seuls. De même, The Gold Rush a été inspiré par “Auld Lang Syne,” et City Lights par “La Violetera” —une chanson que lui avait présentée Raquel Meller, dont Charlie avait essayé de promouvoir la carrière américaine, en 1928 (« Le génie de Raquel Meller est quelque chose de plus qu’un don naturel. Son travail démontre un contrôle intellectuel et le raffinement de sa sensibilité reste insurpassé par aucun autre artiste que j’ai vu » - mentionne Chaplin dans le communiqué de presse) et qui avait été antérieurement célèbre pour cette même chanson en 1923. Elle se retrouve, d’ailleurs, sur la couverture d’une des versions de la partition. David Robinson nous indique dans “Chaplin: His Life and Art” que “And They Called It Dixieland” a été joué sur le plateau pendant le tournage de “The Count” (174).

D’autres chansons importantes sont faciles à reconnaître en dehors des films eux-mêmes: « Je cherche après Titine » de Modern Times en est un exemple. Si cette liste semble trop restreignante, le collectionneur peut regarder plus loin en arrière dans la carrière de Chaplin et trouver “The Honeysuckle and the Bee” qui est supposément le premier morceau de musique qui a réveillé les sens du jeune homme à la beauté de la musique, ou “Jack Jones”, le premier morceau qu’il a chanté sur scène en tant qu’interprète, dans un groupe de cinq chanteurs. Plus loin, on voit des pièces que d’autres associent aux expériences de Charlie. Helen Hayes dans son autobiographie « A Life in Three Acts » déclare que “Remember”, la chanson de Irving Berlin, lui rappelle une nuit spécifique dans sa vie à New York quand Charlie est arrivé trop tard pour une soirée spéciale à Greenwich Village, et qu’il avait été suggéré que tous devraient aller passer un moment chez Irving. Entendre la chanson “Remember” ramène aussitôt en elle l’image de cette nuit où Charlie et Irving se sont assis au piano, dans l’appartement d’Irving, et ont joué cet air encore et encore, jusqu’aux petites heures du matin. Quelles images pourraient nous venir à l’esprit en entendant cette même chanson?


Cartes postales

Collectionner les cartes postales est de beaucoup, le moyen le plus économique de faire de la “collection contextuelle” et ça peut prendre des formes infinies. La façon la plus simple et qui vous viendra sûrement à l’esprit en premier sera de collectionner les cartes postales des amis de Charlie, ses collègues, ses petites amies, ses épouses, les femmes de carrière avec lesquelles il a été en contact ou des membres de sa famille.

Et que dire de quelque chose de plus imaginatif? Bien qu’il ne soit pas important de collectionner des cartes postales contemporaines à la période en question, cela rend la chose plus intéressante. Prenez maintenant en considération les catégories suivantes : sites de films, endroits souvent fréquentés, - particulièrement ceux mentionnés dans “MA”, hôtels et restaurants - tant en Californie qu’à New York, la tournée “Liberty Bond ” en 1918 et les tournées européennes (particulièrement 1921 et 1931-32) ainsi que les théâtres des circuits Sullivan et Considine, où Charlie aurait joué avec Karno. Cette liste est très longue et chaque catégorie exige un peu de recherche. La meilleure partie de ce type de collection est que le collectionneur détermine lui-même ce qui vaut la peine d’inclure dans la collection. Si c’est sans intérêt ou que ça ne parvient pas à apporter le type de connaissance sur Chaplin que vous recherchez, vous ne l’incluez tout simplement pas.

Considérons l’Hôtel Stowell, au centre ville de Los Angeles. Chaplin l’orthographie incorrectement dans “MA” (Stoll), mais le décrit comme son domicile permanent à Los Angeles lors de son septième film chez Essanay - “un établissement modeste mais neuf et confortable » (183). C’était là qu’il a eu un argument , au téléphone, avec Anderson concernant une proposition pour une apparition à l’Hippodrome de New-York, pour $25 000.:

« La fenêtre de ma chambre donnait sur la cour intérieure de l’hôtel, si bien que quand quelqu’un parlait, le son de sa voix retentissait dans toutes les chambres. La communicationétait mauvaise, et je dus crier à plusieurs reprises ‘je n’ai pas l’intention de laisser passer la chance de gagner vingt-cinq mille dollars pourdeux semaines de travail!’. Une fenêtres’ouvrit un peu plus haut et une voix me lança : ‘Va donc dormir, crâneur!’ »


Henry’s Delicatessen était situé sur le boulevard Hollywood en Californie et fut l’entreprise, financée par Chaplin, qui lança Henry Bergman dans le monde de la restauration professionnelle. Le restaurant ouvrit ses portes vers la fin des années 1920 et les ferma quelques années plus tard, bien qu’il connaissait un grand succès. Henry’s Delicatessen était un restaurant unique en son genre. Une carte postale fut créé en son honneur, intitulée Henry’s Café, et montre une vue intérieur où M. Bergman occupe la table centrale. Étant donné que Charlie était un hôte régulier de l’établissement, on ne peut s’empêcher de scruter chaque visage pour voir s’il était présent lorsque cette photo fut prise.


La rue Olvera au centre-ville de Los Angeles représente le point culminant du film The Kid où le conducteur du camion dans lequel Jackie et Charlie se trouvaient finit par arrêter le véhicule et s’enfuit dans un état de panique. La carte postale représente une photo claire de l’édifice paraissant en arrière-plan dans cette scène passionnante et est d’autant plus intéressante puisqu’elle date des années 1920.


Echo Park à Los Angeles est un lieu bien connu qui paraît dans de nombreux films de la Keystone, notamment Mabel’s Married Life. Plus de quinze perspectives différentes du parc existent. Plusieurs montrent le kiosque à casse-croûte ou le pont célèbre comme on peut le voir dans ce film.


Le parc de l’autre côté de Sunset Boulevard en face du Beverly Hills Hotel en Californie est le lieu où se déroule la scène qui précède celle où le clochard fait son entrée au bal masqué dans le film The Idle Class. La photo de cette carte postale a été prise à l’endroit exacte où le clochard et un autre homme sont assis sur un banc et où le clochard est mépris pour un pickpocket.


L’événement suivant, comme il est décrit dans le livre Hotel Adlon: The Life and Death of a Great Hotel, est survenu à l’Hôtel Adlon à Berlin en Allemagne où Charlie désirait séjourner en 1921, mais en raison de certaines circonstances, son séjour fut reporté jusqu’à 1931 : « La nouvelle de la venue de Charlie Chaplin s’était répandue partout et la rue Unter den Linden était remplie d’une cohue grouillante à travers laquelle il dut se frayer un chemin pour se rendre de sa voiture aux portes de l’hôtel tout en donnant des poignées de main, signant des albums, souriant, saluant et se démenant frénétiquement pour éviter de se faire piétiner. Son feu de navigation, à mesure qu’il était transporté par les remous de cette marée humaine, était la casquette bleu pâle du bagagiste qui réussit éventuellement à le secourir et le pousser jusqu’aux portes tournantes de l’hôtel. Puis, au moment où il crut que ses péripéties avaient pris fin, il s’arrêta brusquement au milieu du hall de réception et se regarda d’un air ahuri. Son pantalon lui glissait des jambes! Les adorateurs en quête de souvenirs l’avaient dépouillé de tous ses boutons. Il ne lui resta plus qu’à l’empoigner et se hâter vers l’ascenseur avec sa célèbre démarche traînante » (193). Il est intéressant de noter que l’hôtel Adlon se vante encore de cet incident dans sa publicité aujourd’hui en décrivant le hall comme étant l’endroit où Chaplin laissa tomber son pantalon.


Au cours de la seconde étape de sa tournée européenne en 1931, Charlie Chaplin raconte l’aventure qu’il a eu à San Sebastian en Espagne durant les combats de taureaux dans A Comedian Sees the World. « Je passai un bel après-midi qui s’était annoncé charmant, mais qui finit sur une note dégoûtante, à regarder un combat de taureaux à San Sebastian… Mon compagnon, le Marquis de Sorreana, m’avertit que plusieurs taureaux seraient sans doute dédiés à mon nom. Je commandai alors quatre étuis de cigarettes en prévision de cet événement… Cet après-midi là, je fus témoin d’une mise à mort impressionnante. Imaginez un grand stade, une foule muette de trente mille personnes, et debout dans la lumière pâle du soleil se tiennent face à face un homme ainsi qu’un taureau dans les affres de la mort. »


Documents éphémères divers

À part ces deux types de documents, il y a une infinité d’autres options. Vous pouvez collectionner des affiches de New York pendant l’époque où Charlie était en visite, des menus de restaurants contemporains du temps où il aurait pu les fréquenter, des guides touristiques et autres guides sur les endroits qu’il visita durant ses voyages réguliers, ou encore des programmes de l’orchestre symphonique – plus particulière de la région de Los Angeles. Charlie adorait écouter l’orchestre symphonique. Même Lita mentionne quelques unes de leurs visites à Hollywood Bowl dans son livre My Life with Chaplin. Ce qui ne semble pas être bien connu et que j’ai découvert au cours de ma recherche contextuelle est que Charlie était un membre bienfaiteur de l’orchestre lorsqu’elle logée à l’auditorium au centre-ville de Los Angeles. Il indique simplement dans son autobiographie (200) qu’une symphonie à l’Auditorium Philharmonique de Clune faisait partie de « plaisirs réguliers » dès 1916. Lorsque je trouvai un programme de l’Orchestre Symphonique de Los Angeles datant de 1919, je découvris sur la liste des membres bienfaiteurs les noms de « M. et Mme Charles Spencer Chaplin ». Il est intéressant de noter que le nom d’aucune autre personnalité du cinéma n’est mentionné.

Walter Benjamin, un critique littéraire de la Frankfurt School actif durant le temps de Weimar en Allemagne, a écrit dans son essai Unpacking My Library que : « l’enchantement le plus profond en ce qui concerne un collectionneur est d’emprisonner certains articles individuels dans un cercle magique où ils sont conservés jusqu’à ce que toutes les sensations fortes associées à leur acquisition se soient évaporées. Tous les souvenirs et toutes les pensées, en fait tout ce qui est conscient deviennent le piédestal, l’armature, la base et le verrou de sa propriété. La période, la région, l’art, les anciens propriétaires – pour un véritable collectionneur, et tous les antécédents d’un article finissent par former une encyclopédie magique dont la quintessence représente le destin de son objet » (487). Ainsi, le collectionneur de souvenirs associés à Charlie Chaplin peut ouvrir son « encyclopédie magique » d’objets et découvrir certains aspects au sujet de Charlie Chaplin qui ne sont mentionnés dans aucun livre.

Pouvez-vous découvrir comment Charlie Chaplin est lié aux endroits montrés dans les cartes postales ci-dessous ?


You might also want to read...