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L'Opinion publique

L'Opinion publique, 1923
L'Opinion publique, 1923

L’Opinion publique fut une étape courageuse dans la carrière de Charles Chaplin. Après soixante-dix films où il était apparu en personne dans chaque scène, il réalisait un film où il ne faisait qu’une apparition de quelques secondes, méconnaissable, dans une simple figuration : un porteur dans une gare.

Chaplin dirige Edna Purviance dans L'Opinion publique
Chaplin dirige Edna Purviance dans L'Opinion publique

Jusqu’alors, chacun de ses films avait aussi été une comédie. Mais L’Opinion publique est un drame romantique. Cela n’a pas été une impulsion soudaine. Il y avait déjà longtemps que Chaplin voulait s’essayer à réaliser un film dramatique. En fin de compte, à l’origine de L’Opinion publique, il y a trois femmes. Tout d’abord Edna Purviance, qui a été sa partenaire idéale dans plus de trente-cinq films. Il lui semblait pourtant qu’Edna est devenue trop mûre pour jouer dans des comédies. Il décida de faire un film pour la lancer dans une nouvelle carrière d’interprète dramatique.

Chaplin et Peggy Hopkins Joyce à Catalina Island, 1922
Chaplin et Peggy Hopkins Joyce à Catalina Island, 1922

C’est à ce moment que la deuxième femme entra dans sa vie : Peggy Hopkins Joyce. Ce n’était pas une “une femme de Paris”, mais la fille d’un barbier, née en Virginie. Très jolie, elle avait fait une carrière très profitable en épousant des millionnaires puis en divorçant. Il n’y a guère de doute qu’elle pensait ajouter Chaplin à la liste de ses conquêtes. Au contraire, c’est Peggy qui a été exploitée par Chaplin.

Il était fasciné par ses histoires hautes en couleur : elle avait été la maîtresse d’un riche éditeur parisien, un jeune homme s’était tué par amour pour elle… Il écoutait, emmagasinait les anecdotes… et Peggy, avec sa vie amoureuse, donna naissance au personnage de Marie St. Clair, la Femme de Paris du titre original.

Chaplin rencontre Pola Negri pour la première fois à Berlin en 1921
Chaplin rencontre Pola Negri pour la première fois à Berlin en 1921

Sa troisième inspiration fut la fascinante et fougueuse actrice Pola Negri, originaire de Pologne, qui venait d’arriver à Hollywood. Charlie et Pola ne tardèrent pas à entamer une liaison tumultueuse, avec des hauts et des bas, dont la presse du monde entier fit ses délices. Cette liaison eut deux aspects exceptionnels dans la vie de Chaplin. En premier lieu, son caractère public, alors qu’il s’efforçait normalement de ne pas livrer sa vie privée à l’opinion publique. Deuxièmement, ce fut la seule occasion où Chaplin s’est autorisé à mêler travail et vie privée. En règle générale, quand il travaillait il n’avait de temps pour rien d’autre, en tout cas pas pour l’amour. Mais la liaison avec Pola était une autre affaire. Elle coïncida exactement avec le tournage du film.

Charlie et Pola se sont rencontrés alors qu’il était à la dernière étape de la préparation, et se sont séparés trois jours après la fin de son tournage. Un tel synchronisme incite à se demander s’il s’agissait d’un véritable amour, ou si – même inconsciemment – Chaplin cherchait en Pola le modèle dont il avait besoin pour un type de femme du monde raffinée qui était rare à Hollywood.

Edna Purviance
Edna Purviance

A première vue, l’histoire ressemble à un mélodrame conventionnel. Mais si on y regarde de plus près, on voit que Chaplin a retourné tous les stéréotypes de son époque. L’héroïne est, sans ambiguïté, une femme entretenue. Le héros est un faible, dominé par sa mère. Le méchant, au contraire, est charmant, attentionné et divertissant. Le Hollywood de l’époque vénérait les mères et les pères, mais ici les parents sont des bigots égoïstes. Ce sont eux qui déclenchent la tragédie.

Chaplin dirige Lydia Knott
Chaplin dirige Lydia Knott

Avec L’Opinion publique, Chaplin inaugurait tout un genre nouveau de comédie de mœurs, et il inventa le style de jeu qui s’y prête. Son propre génie d’acteur comique tenait à son observation du comportement humain. Il utilisait à présent ses découvertes dans le cadre du drame, et cherchait des procédés lui permettant de révéler l’intérieur par l’extérieur : le mécanisme des cœurs et des esprits de ses personnages à travers leurs actions et expressions.

Chaplin montre à Edna Purviance comment jouer une scène
Chaplin montre à Edna Purviance comment jouer une scène

Il trouva des interprètes idéaux en Adolphe Menjou et Edna Purviance, grâce à la longue expérience de celle-ci avec Chaplin. Tous deux jouèrent leur rôle avec une subtilité qui tient du miracle, et avec une retenue qui était inconnue à l’époque. Chaplin fera un commentaire profond sur ses découvertes et sur ce qu’il y a de meilleur dans le jeu de l’acteur au cinéma : “J’ai découvert,” écrit-il, “que les hommes et les femmes s’efforcent de cacher leurs émotions plutôt que de les exprimer. Et c’est la méthode que j’ai utilisée… afin d’être aussi réaliste que possible.”

Adolphe Menjou et Edna Purviance
Adolphe Menjou et Edna Purviance

La presse fut délirante. Ni Chaplin, ni personne d’autre n’avait jamais reçu d’éloges aussi unanimes pour un film. Le public, hélas, ne partagea pas l’enthousiasme des critiques. Jamais à cette date un film de Chaplin n’avait aussi mal marché. Tout se passa comme si les gens ne tenaient pas à dépenser leur argent pour voir un film où leur idole n’apparaît pas. Rares sont ceux qui le reconnurent dans son apparition en porteur, même si ces quelques secondes ont toujours fait sensation.

Chaplin signe une affiche de L'Opinion publique
Chaplin signe une affiche de L'Opinion publique

A la fin de sa vie, Chaplin revint à ce film. A l’âge de quatre-vingt-six ans, il a créé – avec l’assistance de l’arrangeur Eric James – une nouvelle musique pour l’accompagner. L’enregistrement devait être son dernier travail dans un studio de cinéma, et le point final d’une stupéfiante carrière qui avait couvert huit décennies. Peut-être était-ce aussi, en quelque sorte, une réconciliation avec un film que le public avait rejeté, alors que lui-même en restait, à juste titre, immensément fier.

© 2004 MK2 SA & David Robinson


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