Une vie de chien
Depuis ses débuts au cinéma, Charles Chaplin savait qu’il avait besoin d’une autonomie créative totale pour réaliser le type de comédie dont lui seul était capable. Il finit par conquérir cette autonomie en 1918, quand il construisit son propre studio.
Hollywood se trouvait encore en pleine campagne, et le studio s’éleva au milieu des orangeraies, sur l’emplacement d’une ancienne villa. Camouflé vers l’extérieur en vieille rue de village anglais, le studio, à l’intérieur, représentait alors le dernier cri de la technique.
Chaplin l’inaugura en tournant un amusant petit documentaire, How to Make Movies (Comment faire du cinéma), qui montrait les installations et le personnel du studio et sa propre activité quotidienne. Le film ne fut jamais monté ni présenté, et ce coup d’œil précieux sur le Hollywood des débuts ne fut livré au public qu’en 1959, lorsque Chaplin en inclut quelques plans dans son anthologie La Revue de Charlot.
Les films tournés par Chaplin dans son studio marquaient un net progrès sur les comédies jusque-là réalisées à Hollywood. Ses films étaient généralement plus longs et beaucoup plus raffinés, dans leur mise en scène comme dans leur structure. Le premier fut Une vie de chien. Chaplin trouva un excellent partenaire avec un charmant chien bâtard du nom de Mutt, qui s’appelle Scraps dans le film. La lutte de Scraps pour survivre au milieu des autres chiens du quartier est ironiquement comparée à celle de Charlot pour trouver sa place dans la société.
Une grande partie de l’action se déroule dans un saloon de bas étage, The Green Lantern, où l’héroïne, interprétée par Edna Purviance, est une hôtesse-chanteuse maltraitée. Les aventures de Charlot avec son ami chien et ses démêlés avec deux voleurs sont l’occasion de belles scènes comiques, Mais en même temps on trouve un certain réalisme dans le décor du saloon mal famé et de ses habitués. Dans Une vie de chien, Chaplin est rejoint pour la première fois par son frère Sydney, qui avait partagé ses années de misère et l’avait aidé à faire son chemin au music hall. Lui-même un excellent acteur comique, Sydney joue le propriétaire du stand de saucisses qui subit les chapardages de Charlot et de Scraps. Une particularité d’Une vie de chien : Charlot y a abandonné, sa canne, sans doute parce qu’il avait besoin d’une main libre pour tenir la laisse de Scraps.
La Première Guerre mondiale faisait rage quand Chaplin ouvrit son studio, et il accéléra la finition d’Une vie de chien pour participer à l’effort de guerre et participer à une tournée de promotion des “Liberty Bonds”, destinée à persuader le public d’acheter ces emprunts de soutien à l’effort de guerre.