Une idylle aux champs
Dans son autobiographie, Chaplin se rappelle : “La réalisation d’Une idylle aux champs ressembla à un arrachage de dents.” De temps à autre, Chaplin, comme tout artiste, subissait un blocage créatif. Mais celui-ci fut un des pires de sa carrière. Indubitablement, la raison était d’ordre privé. A la fin novembre 1918, il avait épousé en hâte Mildred Harris, une comédienne âgée de dix-sept ans. Il le regretta immédiatement quand il découvrit que la pauvre Mildred ne pouvait en aucun cas tenir le rôle d’épouse d’un génie.
Une semaine à peine après le mariage, il était de retour au studio avec le projet d’envoyer Charlot à la campagne, en homme à tout faire exploité dans un minable hôtel de village. Il emmena son équipe dans un des ranches qui se trouvaient tout près, dans une Californie encore rurale, loua des chevaux, des vaches et quelques cow-boys…mais l’idée de la comédie ne venait pas. Après plus de trois mois d’inactivité et un abandon provisoire du projet, Chaplin s’imposa soudain une activité énergique de trois semaines, après quoi il put terminer Une idylle aux champs.
C’est un film plus intéressant que l’opinion de Chaplin ou des critiques ne pourrait le faire croire. Le spectacle de Charlot dans un décor campagnard est nouveau et donne l’occasion de plusieurs gags inattendus. Certaines scènes ont aussi un aspect cruel.
L’une d’elles a particulièrement marqué : Charlot a été assommé, et il rêve qu’il danse avec quatre nymphes des bois. Cette danse virtuose est clairement un hommage au ballet L’Après-midi d’un faune, créé et interprété par le grand danseur russe Vatslav Nijinsky. Nijinsky était venu en visiteur au studio de Chaplin et il est clair que les deux hommes s’admiraient réciproquement. Chaplin fut justement flatté quand le danseur russe et ses collègues le félicitèrent pour ses talents de danseur.
Text de David Robinson / Copyright 2004 MK2 SA